Interview



Camané, le Prince du fado devenu Roi.

 © Estelle Valente

Encore peu connu en France, Camané, 47 ans, est cependant une figure respectée et incontournable du Fado. Appelé à ses débuts le « Prince du Fado », Camané, de son vrai nom Carlos Manuel Moutinho Paiva dos Santos, a vécu, au long de plus de 30 ans de carrière et plus d'une dizaine d'albums édités, toutes les différentes phases du fado, les hauts et les bas, de musique considérée légère à la classification au Patrimoine de l’Humanité. Qui mieux que lui pouvions nous rencontrer avant ces trois soirées exceptionnelles dédiées au Fado au Festival Ile de France, pour parler de ce chant si ancré dans l’âme portugais. Et c’est à Lisbonne en plein mois de juillet qu’il nous accueille chez lui pour une longue conversation sur le fado. Alors que ses albums sont obligatoires dans toute bonne discographie qui se respecte, il nous avouera n’en posséder aucun.

Après tant d’années de carrière et un best of qui vient d’être édité chez Parlophone "Camané, o Melhor 1995-2013", à quoi pensez-vous lorsque vous regardez en arrière et voyez votre parcours?
Que c’est un parcours naturel et qui était quasiment inévitable. J’ai commencé à écouter du fado avec mon arrière grand père, mon grand père le chantait et à la maison mes parents en écoutaient beaucoup. Ces années furent d’apprentissage en tant qu’artiste avec ceux que j’ai côtoyé notamment dans les Casa de Fado où je chantais, de 17 à 32 ans. J’étais très timide. Je le suis toujours mais j’ai appris à vivre avec cette timidité. Tout au long de ces années, j’ai grandi artistiquement et personnellement. J’ai réussi à trouver ma façon d’être dans le fado. Ma réussite c’est de faire ce que j’aime, comme je le veux.

Vous souvenez-vous du premier fado que vous avez entendu? 
C’est le Fado Isabel avec une musique de Fontes Rocha. Il ne m’a pas marqué tout de suite. Tout cela me paraissait étrange. Je devais avoir 7 ans. J’étais malade, je me sentais très seul à la maison, mes parents travaillaient beaucoup. Ils avaient de nombreux disques de fado et j’avais pour seule compagnie le tourne-disque et les grands interprètes du fado: Marceneiro, Amália, Carlos do Carmo... J’écoutais de manière compulsive du fado. Je me souviens qu'à mes débuts, je connaissais déjà tous les fados traditionnels par cœur. Ça m’a été utile par la suite. 

Le fado s’apprend-il? 
Le fado ne s’enseigne pas mais s’apprend. Par exemple, je n’ai jamais chanté les fados des adultes quand j’étais enfant. Je chantais des fados populaires, qui parlaient de l’école, de la mère, de la petite copine… Aldfredo Marceneiro chantait dans le fado Bailado dont il a fait la musique "À mercê dum vento brando, Bailam rosas nos vergeis, E as Marias vão bailando, Enquanto vários Manéis,Nos armónios vão tocando" ("Au gré d'un vent doux, des roses dansent dans les vergers, et les Maries dansent, Pendant que les divers Manuels, Jouent sur les pianos"). Amalia chantait sur la même musique "Estranha forma de vida" et ce sont des fados complètement différents. Mais la base musicale, la construction était la même. J’ai donc appris que je devais chanter avec la même musique des paroles pour mon âge. Ce fut mon apprentissage. Ce qui était fantastique c'est qu'à l’époque, il y avait de nombreuses collectivités avec leurs poètes populaires. De nos jours, une jeune fille de 12 ans préfère chanter "Maldição" de Amalia, ou "Povo que lavas no Rio", où elle ne comprend rien à ce qu’elle est en train de dire car elle ne l’a pas vécue. 

A quelle moment vous êtes vous senti fadiste? 
Cela aurait été difficile de ne pas l’être. Mes parents vivaient avec le fado toute la journée. Mon arrière grand père, José Julio, chantait du fado. D’ailleurs, il y a quelque jour, j’ai retrouvé un de ses disques qui était perdu aux Etats Unis, un disque de 1925. Mais pour chanter du fado, il faut être fadiste, chanter avec vérité. Le fado est une caractéristique du chant et j'ai ma propre manière de le chanter. 

© Agusto Brazio

A vos débuts le fado n’était pas à la mode comme maintenant, existait-il des préjugés?
A l’école, je cachais le fait que je chantais du fado. J’avais honte, parce que tout le monde se moquait de moi. Même chez moi lorsque j’écoutais du fado, je mettais le son très bas pour que dehors on ne puisse pas savoir que j’en écoutais. A l'inverse j’écoutais très fort la musique rock par exemple. J’ai donc très fortement ressenti cette évolution du fado et je suis passée par elle. A la fin des années 80, on était peu nombreux à chanter du fado, Paulo Bragança, Zé da Câmara ou encore Misia. C’était compliqué à l’époque. J’ai eu des retrouvailles avec ma génération à travers le fado beaucoup plus tard, à partir de 1995. Je me souviens que pour mon premier album, j’ai dû faire 30 concerts hors du Portugal et 2 au Portugal. Ensuite à partir du milieu des années 90, il y a eu une transformation, non pas en grande masse, mais dans la presse notamment. Des journaux comme le Blitz qui n’avait jamais parlé de fado, ont commencé à parler de moi. Je me suis senti plus accompagné. J’ai toujours cru au fado, j’ai toujours su que c’était une musique de grande qualité, j’avais la certitude que les grands interprètes de la musique portugaise venaient du fado. 

Depuis les années 90, beaucoup de fadistes mélangent d'autres caractéristiques de world music ou de jazz au fado, à quel moment peut-on dire qu'une chanson est un fado? 
Pour que ce soit du fado, il faut cette fameuse ambiance musicale, un rythme bien particulier. Ce n’est pas quelque chose que l’on définit professionnellement, c’est quelque chose que l’on ressent. Ça l’est ou ça ne l’est pas. 

Récemment, un musicien lié au fado me le définissait non pas comme une musique, mais comme un poème mis en musique, vous êtes d’accord? 
Même si je comprends ce qu'il veut dire, je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette définition. Pour moi, la musique a autant d’importance que les paroles. Dans le cas des fados traditionnels, il faut que le fadiste à travers les mots et le chant musical, qui possède différentes options, construise une chanson à l’intérieure de cette chanson. Rien n’est musique avant que cela ne se produise. Il y a de très grands paroliers dans le fado. Rien de mieux que le fado pour décrire la vie, les sentiments, les couleurs, le temps... Le fado nous a souvent amené vers un ancien langage de l’amour, que nous ne vivons plus. Je n’ai pas le talent pour écrire, par contre j’ai la sensation de savoir ce qui est bon pour être chanté. Le plus important c’est que je m'identifie et que je crée mon propre répertoire. Je chante rarement des fados qui ont déjà été chantés par d'autres. Le titre "Sei de um Rio" qui est de Pedro Homem de Mello avec une musique de Alain Oulman, n’a pas été fait pour moi, mais il n’avait jamais été chanté. J’ai toujours essayé de mener ma carrière avec mon répertoire. Trouver mon répertoire. Augmenter mon répertoire. Ça a toujours été ma condition et ça a été un plus pour moi. Je n’ai jamais eu besoin d’avoir recours à des fados d’Amalia par exemple. Mon répertoire est entièrement fait et créé par moi, par les personnes qui travaillent avec moi, qui composent et écrivent pour moi. Je ne vais pas chanter quelque chose d’Amalia car je n’ai rien à y ajouter, j’ai cette notion. Ce sont des versions et n’apportent rien. A l'époque où je travaillais dans les Casas de fado, personne ne chantait les fados des autres. Je n’ai jamais vraiment compris cette option, mais en même temps je suis un homme et j’ai un parcours dans le fado que la plupart des gens n’ont pas et ça m’aide.

Vous allez être très prochainement en concert à Paris dans le cadre du Festival Ile de France. Justement, quand vous êtes sur scène, vous préférez le silence pendant les chansons ou les applaudissement à la fin ? 
Les deux, mais j’avoue que le silence est une chose qui me donne énormément de plaisir. Quand on est devant 3 milles personnes et qu'on entend le silence, c’est merveilleux. J’aime aussi les applaudissements, évidemment. Mais pour être sincère, être sur scène, n’est pas que du plaisir pour moi. De nombreuses fois, je monte sur scène et j’ai deux options: fuir ou y aller. Je choisis toujours la deuxième car c’est mon travail. Chanter pour moi, c’est comme respirer, boire de l’eau, je ne sais pas faire autre chose.
Interview réalisée pour le CAPMag(Septembre 2013)

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