Interview



Rencontre avec Francisca Cortesão du groupe Minta & the brook Trout


© Vera Marmelo

Francisca Cortesão est la face visible du groupe portugais Minta & the brook Trout. Chanteuse, compositrice, guitariste, elle navigue avec son groupe sur des territoires de musique folk douce et country. Au moment où l’album "Olympia" vient d’être édité au Etats Unis, on a rencontré Francisca Cortesão pour nous parler de son parcours. L’occasion de découvrir une artiste dynamique, pleine d’envie et de projets. Et pour tous ceux qui seraient de passage à Lisbonne, on peut la retrouver avec son projet They're Heading West dans la Casa de Independente où elle invite tous les mois un artiste portugais à se produire avec eux, sont déjà passés sur cette scène des noms comme Capicua, Samuel Uria, Mazgani, Noiserv, Old Jerusalem… ou très prochainement Ana Moura…

Pour que le public français te connaisse un peu mieux, peux-tu nous parler de ton parcours musical? 
Ma formation musicale fut très courte. J’ai appris la musique avec ma famille. J’ai pris des cours de piano de 10 à 13 ans. Et puis à 13 ans j’ai voulu apprendre à jouer de la guitare et avoir mon propre groupe. J’ai donc laissé tomber le piano - ce que je regrette aujourd’hui - et j’ai appris à jouer de la guitare dans les colonies de vacances, puis dans les groupes que j’ai eu dès l’école primaire, une chose que j’ai toujours pris au sérieux. A part ces années de piano, ma formation musicale a toujours été faite avec d’autres personnes. Mon éducation musicale est peu formelle et elle continue à l’être. J’ai plus appris ces 5 dernières années que les 10 années avant celles-là. 

Tu viens de parler de l’importance de ces groupes, quel fut ton premier groupe, quel genre de musique jouiez-vous? 
Mon premier groupe s’appelait Casino. On a même édité un disque. On chantait déjà en anglais. C’était un peu plus pop britannique que ce que l’on fait actuellement. Dans ce groupe nous étions deux à composer, moi et mon ami Filipe Pacheco, qui a laissé Porto pour Lisbonne pour enregistrer l’album avec moi. Et du coup il transportait beaucoup plus son univers, comme Radiohead ou Blur, ce coté un peu plus marqué années 90, pop, ce que je ne fais pas actuellement. Mais dans le fond, il y a une certaine continuité. Le disque a été édité en 2001. J’avais 15, 16 ans quand j’ai fait ces musiques. 

Tu as commencé à composer à quel âge? 
Ma première chanson, que l’on retrouve d’ailleurs dans ce disque des Casino, a été composée à l’âge de 13/14 ans. 

Y-a-t-il un album ou un artiste qui t’ait donné envie de composer? 
Je ne me souviens pas vraiment. J’ai cette chance d’avoir eu une éducation musicale très bonne. D’un coté mon père avec la musique classique et la musique pop du coté de ma mère. J’ai toujours écouté de la bonne musique, des Beatles à Zeca Afonso. J’écoutais aussi beaucoup Paul Simon, « Graceland » est d’ailleurs mon album préféré de tous les temps. Mais si tu me demandes des albums marquants, bien sur qu’il y en a, ceux de mon adolescence, certains que j’aime encore, d’autres moins. Quand j’ai commencé à composer, j’écoutais beaucoup Pixies et Breeders. A l’époque j’étais aussi fan des Smashing Pumpkins, aujourd’hui je n’arrive plus à les écouter. Mais je n’arriverais pas à te citer un album en particulier.  

Et la musique portugaise? Tu en parles très peu, tu n’en écoutais pas à l’époque? 
La musique portugaise que j’écoutais était celle de mes parents et puis les groupes qui avaient une sonorité qui ressemblait plus à ce que je jouais. J’aimais beaucoup un groupe de l’Algarve qui s’appelait Supernova et à l’époque j’étais aussi fan des Pinhead Society, d’ailleurs deux d’entre eux font parties de mon groupe maintenant, Mariana Ricardo et Nuno Pessoa. Ils avaient une sonorité très proche des autres disques que j’aimais,  la même racine que les Yo La Tengo, Sonic Youth, sauf qu’ils étaient portugais et de ma génération. C’était important pour moi de savoir que ça existait aussi au Portugal. Mais pour être sincère, les groupes portugais que j’écoutais étaient en minorité. Actuellement j’écoute beaucoup plus de musique faite par les portugais. 

Tu fais la distinction entre musique portugaise et musique faite par les portugais… 
Oui je la fais, mais ce serait une longue conversation… 

Comment est né Minta tout d’abord, et ensuite le groupe Minta & the brook Trout? 
Lorsque que le groupe Casino a pris fin, j’ai arrêté de jouer en live et d’avoir un groupe de manière active. C’est aussi à l’époque où je suis allée à la fac et j’étais occupé à d’autres choses, mais j’ai continué à composer des musiques et j’ai commencé à les enregistrer à la maison. Et puis, j’ai décidé de les divulguer sur myspace. Même si je n’avais pas de concerts prévus, ni de groupes, l’idée de jouer en live est apparue peu à peu parce que les gens aimaient les musiques que je mettais online. A l’époque ça s’appelait Francisca Cortesão et pas encore Minta. Toutes ces chansons qui étaient sur internet ont été à l’origine du premier EP qui s’appelait "You". Le nom Minta est venu de cette idée qui m’a plut à l’époque d’avoir un alter ego musical. 

Justement le nom Minta vient d’un personnage d’un livre de Virginie Woolf, la littérature a –telle une influence dans ton écriture musicale ? 
Je lis beaucoup en anglais et c’est aussi pour ça que je vais y chercher des mots des idées, plus qu’une influence directe. A l’époque où j’écrivais l’album, j’étais en train de lire des contes de Raymond Carver. J'aime les auteurs américains, par exemple dans les auteurs plus modernes j’aime beaucoup Jonathan Franzen, j’ai enfin fini l’énorme livre de David Foster Wallace, « Infinite Jest » et ce fut un beau livre dont je ne sais pas si je vais en retirer quelque chose pour une musique. Mais de toutes les façons, ces choses ne sont pas conscientes. Je prends de ce que je lis et je lis beaucoup.

© Vera Marmelo

Le dernier EP d’originaux que tu as édité Olympia vient d’une ville des Etats unis, jusqu’à quel point cette ville a influencé l’album ? 
C’est dû à un voyage que l’on a fait avec le projet They're Heading West. C’est un groupe que l’on a créé pour aller jouer au Etats Unis. On y jouait les musiques de Minta & the brook Trout, de Mariana Ricardo, de João Correia des Julie & the Carjackers, Sergio Nascimento étant le batteur du groupe. On échangeait aussi les instruments. Ce fut 15 jours qui m’ont parus beaucoup plus long. L’album "Olympia" doit beaucoup à ce voyage, pas uniquement pour le titre de l’album, ville capitale de l’Etat de Washington. C’est aussi un peu un hommage à la scène musicale de là-bas. Ça nous a tous apporté quelque chose si ce n’est des musiques, des idées, un endroit dans nos têtes où l’on peut retourner de temps en temps. On y a fait 8 ou 9 dates de concerts, on est allé de Vancouver au Canada, jusqu'à San Diego au Mexique. Plus de la moitié des chansons de l’album on été écrite après ce voyage, ça a sans aucun doute influencé l’album, notamment les paysages très amples. Notre idée d’aller aux USA est venue du fait que nous aimions tant la musique qui venait de là-bas et de cette zone spécifique des Etats-Unis que nous voulions voir en vrai ces choses que tu ne connais qu’à travers les films, les livres et des chansons des autres. On a vraiment beaucoup envie d’y retourner. 

Dans "Olympia" on retrouve plusieurs artistes, notamment Afonso Cabral et Salvador Menezes du groupe You Can’t Win Charlie Brown.. 
Je les ai invité car j’avais l’habitude de les écouter dans les YCWCB. Ils font parties des personnes qui chantent le mieux ensemble. On a l’impression qu’ils respirent au même moment. Et j’ai toujours voulu avoir un chœur important dans le disque. Quand j’ai pensé à inviter des voix, j’ai pensé à eux, à Madalena Palmerim des Nomes Comum qui a aussi fait partie des They're Heading West pendant un certain temps quand Mariana était au Mozambique pour le film Tabu dont elle est la co-scénariste. Ma sœur s’est proposée de chanter et j’en ai été très heureuse. Et puis il y a aussi Miguel Bondeville des Blag bonbie. Ils n’ont malheureusement pas tous enregistré en même temps. D’un coté ces voix, les instruments à vent, d’un autre coté Carlos Mendonça qui est un percussionniste mexicain merveilleux qui vit ici à Lisbonne. En ce qui concerne les instruments à vent, João Cabrita avait déjà travaillé avec nous, d’ailleurs c’est une sorte de membre fluctuant du groupe. Ces collaborations ont toujours été pensées par rapport à ce qu’elles pouvaient apporter en terme d’arrangements. Toutes ont dépassé nos attentes. 

Je t’ai déjà vu jouer seul il y a un peu plus d’un an dans le cadre du Festival D’Bandada mais aussi avec le groupe, dans quel cas te sens-tu le plus confortable ?
Je n’aime pas du tout jouer toute seule ! D’ailleurs à Porto j’ai fait appel à Old Jerusalem pour m’accompagner, que j’ai appelé à la rescousse car aucun membre de mon groupe ne pouvait se déplacer. Il connaissait certaine de nos musiques car il avait déjà joué avec They're Heading West, et c’est une personne très généreuse. 

Tu as déjà fait partie de nombreux projets, tu as notamment substitué Rita Redshoes dans la tournée de David Fonseca, qu’as-tu retiré de cette expérience ? 
C’était une très bonne expérience, car je n’avais pas l’habitude de jouer de manière professionnelle tous les Week-end. Tout était nouveau pour moi. Et les musiciens qui l’accompagnent sont extraordinaires. J’ai eu l’opportunité de jouer sur d’énormes scènes, et je ne sais pas si un jour je pourrais le refaire. Et puis j’aime cette position de ne pas être au devant de la scène, de jouer des titres des autres. Je suis devenue beaucoup plus musicienne à partir de cette expérience. 

Tu as également collaboré avec Sergio Godinho… 
C’était en 2011. Je connais Sergio Godinho depuis l’enfance, car Porto est une petite ville. C’est l’un des premiers artistes qui j’ai écouté. J’ai participé à un concert de B Fachada où Sergio Godinho était aussi invité. Je lui ai donné notre album homonyme de 2009. Une semaine après il m’a appelé pour me dire qu’il avait beaucoup aimé l’album, que je composais et chantais bien. Et quelques temps après, il m’a dit qu’il avait fait quelque chose autour d’une de mes chansons et qu’il voulait que je l’enregistre avec lui. Et puis par la suite, j’ai enregistré avec B Fachada et João Correia l’album "Sobreviventes" avec l’aval de Sergio Godinho. 

Et qu’as-tu pensé de l’adaptation en portugais de ta musique "Large Amounts"? 
J’avoue que je préfère ma version. Mais ce fut très amusant car personne n’avait jamais utilisé l’une de mes chansons. Sergio Godinho raconte une histoire complètement différente, dans une langue différente et cependant c’est la même musique. C'est très curieux, car au final je me suis rendue compte que ça aurait pu être un titre original de Sergio Godinho. Et c’est peut être pour cela qu’il l’a choisit, cela lui paraissait familier. 

Ça ne t’a pas donné envie d’écrire en portugais ? 
Non, aucune.

Tu as la sensation que si tu étais née dans un autre pays et si tu avais fait la même musique tu aurais eu plus d’impact? 
Il y a beaucoup de "si" ! C’est évident que parfois je pense à ça. Mais si j’étais née dans un autre pays, je n’aurais probablement pas fait la même musique. Je chante en anglais, car l’anglais est ma deuxième langue, mais probablement j’écris des paroles de quelqu’un qui n’est pas natif. 

Qu’a Minta de portugais ? 
Une critique sur Olympia est sortie sur un blog américain qui faisait toute une analogie entre nous et le fado, la saudade et la mélancolie. J’ai trouvé ça excellent. Bien sûr qu’elle existe car nous sommes tous portugais. Et surtout, même si je suis de Porto, je crois qu’on est avant tout un groupe lisboète.

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