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© Estelle Valente |
La violoncelliste Joana Gerra fait partie de ces artistes inclassables. Après avoir sorti son premier album "Gralha" en janvier dernier, elle réalise actuellement sa première tournée à l’étranger et c’est tout naturellement qu'elle s'arrêtera en France pour plusieurs concerts. La France, pays où elle a vécu pendant un an et où elle retourne régulièrement. Ovo a pu la rencontrer à Lisbonne avant cette étape importante et vous propose de découvrir une artiste qui a toujours voulu se libérer de la partition.
De quelle façon la musique est entrée dans ta vie?
Par mon frère et ma soeur ainés qui ont tous deux étudié la musique. Mon frère joue de la guitare, ma soeur du violon et elle chante aussi. La musique a donc toujours fait partie de mon enfance et comme eux j'ai voulu en faire. Ma mère m'a alors inscrit dans une école de musique. Même si l'envie était présente depuis longtemps, j’ai appris la musique tardivement à 15 ans.
Quel type de musique écoutait-on chez toi?
Celle que mon frère et ma soeur écoutaient. Ils étaient plus vieux, donc c'était plutôt la musique des années 90, très rock, mais aussi un peu de musique classique, c’est vrai. Par la suite mon frère a commencé à jouer du jazz et je me suis mise à en écouter. Pour ma part, quand j’étais jeune j’aimais beaucoup les Guns N' Roses, les groupes de rock!
Donc à 15 ans tu commences à apprendre le violoncelle, pourquoi le choix de cet instrument?
J’étais partagée entre différents instruments: le piano, la flûte traversière, la guitare... Je voulais apprendre à jouer de tout ! Mais le choix du violoncelle n’est pas un pur hasard, dans la section des cordes c’est mon instrument préféré. Mon parcours académique dans la musique n'est pas très linéaire, ce sont 9 ans où je suis passée par différents conservatoire et écoles, au Portugal et en France auusi.
Et la première fois que tu as joué devant un public?
En plus des présentations des écoles de musique, des quartets, des orchestres, mon premier projet fut en 2008 avec Praga, un groupe de rock "néo bal progressif". C’était un groupe de rock avec 7 éléments, on chantait en portugais des poèmes originaux et de Fernando Pessoa. C’est un projet que j’ai beaucoup aimé. Je ne voulais plus être attachée à une partition et ce groupe me le permettait. C’était une nouvelle expérience dont j’avais besoin, la musique n’était plus seulement la musique érudite que j’avais apprise à l’école. Après j'ai fait partie de pas mal de projet lié à la poésie: Pochette, qui est encore actif, j'y suis accompagnée de João Vicente qui lit, met en scène et réincarne des poèmes de poètes surréalistes portugais, beaucoup Alexandre O'Neill, Cesariny, Pedro Oom... Ce sont des poèmes qui permettent de créer des personnages et une mise en scène. Plus récemment, j’ai aussi fait partie de Tapete, un projet de spoken word composé de Raquel Lima et d'un groupe qui l'accompagne. Comme pour Pochette, l'idée est de créer une ambiance, un scénario sonore construit autour de la poésie, du slam de Raquel. Et pour finir (!), récemment je suis entrée dans un univers de musique improvisée avec le trio: les Bande à Part.
Et puis arrive Joana Guerra en solo…
C’est apparu à un moment de ma vie où je travaillais beaucoup. Je n’arrivais pas à gérer mon temps pour aller aux répétitions avec des groupes ou d’autres musiciens. J’ai donc commencé à jouer, composer et écrire toute seule. Les choses sont sorties très instinctivement, rien n’a vraiment été pensé ou réfléchi.
Peux-tu nous parler de tes références musicales lorsque tu composais l'album?
A l’époque, j’écoutais beaucoup Philip Glass, Michael Nyman, beaucoup de Quartet, Kronos Quartet, Piazzolla aussi. Mais aussi un peu de rock Shara Worden (de My Brightest Diamond), qui a une grande voix pour moi…
... et justement en parlant de voix, tu chantes sur l’album.
Oui parce qu’avant d’être violoncelliste, je suis chanteuse. Quand j’étais enfant je chantais beaucoup, tout le temps. J’ai fréquenté une chorale pendant des années, où l’on chantait un répertoire classique et traditionnel portugais. Mais par la suite, mes études se sont centrées beaucoup plus sur le violoncelle. Il est vrai que je me présente plus en tant que violoncelliste, dans la musique d’improvisation notamment. Et je comprends que les gens me cataloguent ainsi. Mais pour moi, Joana Guerra c’est voix et violoncelle.
Ton premier album “Gralha” est sorti en janvier de cette année...
C'était un rêve! Quand j'ai commencé à composer et à jouer les titres en live, j'ai pu définir l'album. Et après ce fut relativement facile. Les musiques étaient déjà faites, elles avaient déjà été jouées en live, notamment avec Pochette, ce qui pour moi était l'essentiel, elles étaient donc très rodées.
Sur l'album tu chantes en français, portugais et anglais, comment s'est fait ce choix?
Pour le titre en français, c'est un de mes amis francophones qui l'a écrit. En ce qui concerne le portugais et l'anglais, rien n'est vraiment rationnel ou réfléchi. Les titres sont nés dans les langues qui me venaient au moment de l'écriture. Quand je compose la musique, les paroles viennent d'elle même, ou inversement, mais les deux naissent en même temps. Mes paroles sont souvent très courtes et simples. Il y a une époque où j'écrivais beaucoup, j'avais un blog qui existe toujours d'ailleurs : http://monstrodegila.blogspot.pt.
J'ai pu lire que l'album était d'une certaine façon lié à la ville de Sintra...
Je me suis aperçue après avoir fait l'album que les musiques étaient devenues quasiment des paysages. "Gralha" rappelle beaucoup la nature, la nuit dans les champs, la mer. Et inconsciemment cette énergie a été absorbée de la foret de Sintra où j'ai vécu une grande partie de ma vie.
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© Estelle Valente |
Ta musique est peu conventionnelle, elle est difficile à cataloguer.. comment la définirais-tu?
Lorsque que l'on me le demande, j'avoue ne pas savoir quoi répondre. Ce sont des compositions pour violoncelle et voix où je suis interprète et compositrice. Mais surtout ce sont des chansons, parce que c'était ça que je voulais faire, si les guitaristes peuvent le faire, pourquoi pas les violoncellistes! Mon objectif initial était donc celui là, mais j'avoue que par la suite, les chansons ont commencé à sortir avec une structure fragmentées, chacune d'entre elles ont un thème, mais après, chaque thème a une variation. La seule qui est une ballade du début à la fin est probablement Heartcrash. J'ai fait un concert il y quelques temps pour l'association Terapêutica do Ruído et ils m'ont étiqueté "folk impressionniste". C'est peut être ça finalement!
Tu penses que ta musique est facile d'écoute?
Evidemment, il peut y avoir un préjugé: c'est du violoncelle, de la musique érudite, ennuyeuse pour certains (rire). Il faut juste dépasser cette barrière, après plus rien n'est difficile. Mais évidemment tout dépend du goût de chacun.
Ta tournée va passer par la France en juillet, pays où tu as vécu pendant un an, parle-nous un peu de cette expérience.
J'y suis allée pour donner des cours de portugais. Mais ce que je voulais vraiment c'était jouer. J'ai emmené mon violoncelle et j'ai rencontré un professeur fantastique là-bas. Il fut d'une grande inspiration. Les cours de musique pour moi sont comme une thérapie, c'est un moment où l'on parle de ce qui est vraiment important : la musique. Ces professeurs sont quasiment des poètes. La poésie est déjà une musique en soit, ce n'est pas juste lire une partition, c'est lire la musique, ce qu'elle veut dire, ce que tu ressens, les cours sont des espaces très intimes. La musique a provoqué tant de moments heureux dans ma vie et cette tournée en est un de plus!
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