Ran Blake et Sara Serpa : duo sur canapé
Cinquante
ans après un premier album de légende avec la chanteuse Jeanne Lee, le
pianiste jazz Ran Blake remet ça avec Sara Serpa. Beauté. Critique et
écoute.
La vieille légende en personne ouvre la porte de l’appartement
parisien où il reçoit les journalistes. Le pianiste américain Ran Blake
a 77 ans, il est physiquement usé, et se déplace avec un déambulateur.
Passée la surprise, on peut y voir une certaine logique : déambuler est
un mot qui va bien à Ran Blake. Un demi-siècle qu’il pratique, laissant
ses doigts divaguer sur le clavier d’un piano – une oreille distraite
dirait qu’il manque des touches, ou que le pianiste en a remplacé
certaines par du silence.
Son premier album, sorti en 1962, est légendaire : The Newest Sound Around, avec la chanteuse Jeanne Lee, sommet inaugural de jazz blanc, minimal, funambule, inspiré par les chansons, la musique classique et le cinéma, plus cérébral que sanguin. Depuis, le grand styliste a sorti une trentaine d’albums en formations diverses et distillé son savoir au conservatoire de musique de Boston pendant près de trente ans. Pas un acharné de la production, ni une tête de gondole du jazz. De temps en temps, un album vient nous rappeler l’importance gracieuse de Ran Blake.
Il y a trois ans, c’était le méditatif Driftwoods. Aujourd’hui, c’est l’évanescent Aurora, en duo avec la chanteuse portugaise Sara Serpa. Une jeunette, une ancienne élève. Sara Serpa vient d’arriver et s’installe dans le canapé près de son mentor. “La première fois que j’ai entendu la musique de Ran, c’était au conservatoire de Boston, c’était la chanson Laura de son album avec Jeanne Lee. Je me suis dit “Mais qui est ce pianiste qui invente des mondes derrière les mélodies ?” J’ai demandé à être son élève au semestre suivant. Je suis allée dans son studio, plein de livres et de DVD, on a regardé des extraits de Deux mains, la nuit, de Robert Siodmak.” Le film noir de Siodmak est fondateur pour Ran Blake : à l’âge de 12 ans, il l’a vu dix-huit fois en vingt jours, et en a tiré la quintessence de sa musique.
Sara poursuit : “Puis il m’a demandé de chanter a cappella. J’avais peur, je n’étais pas habituée à chanter sans accompagnement. C’était la première leçon de Ran : connaître une mélodie à fond, pouvoir la chanter seule.” Ran Blake ajoute : “On a fait une merveilleuse version de Strange Fruit !” Elle est sur l’album et Sara la chante a cappella.
C’est tout le charme de ce duo (Aurora est leur deuxième album ensemble, deux ans après le plus sombre Camera Obscura) : la voix joueuse de Sara Serpa et le piano cinéphile de Ran Blake, qui s’écoutent, conversent, improvisent et rêvent en toute confiance. Sur l’album, il y a donc quelques classiques du jazz vocal, mais aussi un fado, un hommage à Malher, un autre au Dr Mabuse de Fritz Lang et encore un autre à Hitchcock. Ran Blake : “La musique autour des films, c’est ma passion. Mais j’adore aussi Stevie Wonder, Al Green, la musique orientale que j’aurais aimé étudier si j’étais plus jeune et que j’avais le temps… Je ne me souviens pas de tous les disques que j’ai enregistrés, mais j’ai encore des projets. C’est la variété de tout ça qui me garde en vie.”
Plus de quarante-cinq ans séparent Ran Blake et Sara Serpa. Mais ils semblent se retrouver comme deux enfants émerveillés par leur première séance de cinéma. “J’adore jouer dans la pénombre. Et je regarde très peu le clavier, je préfère regarder Sara”, conclut le vieux gentleman dans un sourire, du bon côté de la vie.
Son premier album, sorti en 1962, est légendaire : The Newest Sound Around, avec la chanteuse Jeanne Lee, sommet inaugural de jazz blanc, minimal, funambule, inspiré par les chansons, la musique classique et le cinéma, plus cérébral que sanguin. Depuis, le grand styliste a sorti une trentaine d’albums en formations diverses et distillé son savoir au conservatoire de musique de Boston pendant près de trente ans. Pas un acharné de la production, ni une tête de gondole du jazz. De temps en temps, un album vient nous rappeler l’importance gracieuse de Ran Blake.
Il y a trois ans, c’était le méditatif Driftwoods. Aujourd’hui, c’est l’évanescent Aurora, en duo avec la chanteuse portugaise Sara Serpa. Une jeunette, une ancienne élève. Sara Serpa vient d’arriver et s’installe dans le canapé près de son mentor. “La première fois que j’ai entendu la musique de Ran, c’était au conservatoire de Boston, c’était la chanson Laura de son album avec Jeanne Lee. Je me suis dit “Mais qui est ce pianiste qui invente des mondes derrière les mélodies ?” J’ai demandé à être son élève au semestre suivant. Je suis allée dans son studio, plein de livres et de DVD, on a regardé des extraits de Deux mains, la nuit, de Robert Siodmak.” Le film noir de Siodmak est fondateur pour Ran Blake : à l’âge de 12 ans, il l’a vu dix-huit fois en vingt jours, et en a tiré la quintessence de sa musique.
Sara poursuit : “Puis il m’a demandé de chanter a cappella. J’avais peur, je n’étais pas habituée à chanter sans accompagnement. C’était la première leçon de Ran : connaître une mélodie à fond, pouvoir la chanter seule.” Ran Blake ajoute : “On a fait une merveilleuse version de Strange Fruit !” Elle est sur l’album et Sara la chante a cappella.
C’est tout le charme de ce duo (Aurora est leur deuxième album ensemble, deux ans après le plus sombre Camera Obscura) : la voix joueuse de Sara Serpa et le piano cinéphile de Ran Blake, qui s’écoutent, conversent, improvisent et rêvent en toute confiance. Sur l’album, il y a donc quelques classiques du jazz vocal, mais aussi un fado, un hommage à Malher, un autre au Dr Mabuse de Fritz Lang et encore un autre à Hitchcock. Ran Blake : “La musique autour des films, c’est ma passion. Mais j’adore aussi Stevie Wonder, Al Green, la musique orientale que j’aurais aimé étudier si j’étais plus jeune et que j’avais le temps… Je ne me souviens pas de tous les disques que j’ai enregistrés, mais j’ai encore des projets. C’est la variété de tout ça qui me garde en vie.”
Plus de quarante-cinq ans séparent Ran Blake et Sara Serpa. Mais ils semblent se retrouver comme deux enfants émerveillés par leur première séance de cinéma. “J’adore jouer dans la pénombre. Et je regarde très peu le clavier, je préfère regarder Sara”, conclut le vieux gentleman dans un sourire, du bon côté de la vie.