Interview



Les rêves et la folie d’Ana Moura




C’est en pleine promotion que nous retrouvons Ana Moura à Lisbonne. Elle nous accorde une heure de son temps précieux afin de nous parler de son dernier album «Desfado» sorti en novembre au Portugal et depuis janvier en France chez Universal. Dans «Desfado», produit par Larry Klein (producteur de longue date de Joni Mitchell), elle fait appel à une nouvelle génération de musiciens, accueille Herbie Hancock sur un titre et sort pour la première fois de son univers: le fado. Ana Moura est devenue en quelques années l’une des fadistes les plus internationales. Elle sera en concert le 9 février au Café de la Danse, à Paris, ville qui restera celle où Prince est venu la découvrir en concert il y quelques années.

Nouveau producteur, appel à une nouvelle génération de musiciens pour la composition, un univers musical différent, peut-on parler pour «Desfado» d’un album de rupture dans votre carrière ? 
Je dirais plutôt que « Desfado » est un album aventurier. Je voulais explorer d’autres univers musicaux en y mélangeant mon univers en tant que fadiste. Ces dernières années j’ai fait beaucoup de collaboration avec des artistes d’univers très différents et je m’y suis sentie très bien. Ça m’a énormément enrichie. Je voulais explorer ça et surtout que ce soit enregistré et partagé avec le public. 

Alors que tous vos albums avaient été produit jusqu’ici par Jorge Fernando (compositeur et fadiste de renom), c'est Larry Klein que l'on retrouve à la production de « Desfado », comment est née cette collaboration? 
Je voulais tout d’abord un producteur que j’admirais. J’ai fait une liste et il était au top de cette liste. Mon manager l’a contacté. Curieusement, Larry Klein me connaissait déjà et avait déjà pensé travailler avec moi. Il a accepté de suite. L’année dernière, j’étais en tournée aux Etats Unis avec une date à Los Angeles, ville où il vit. Il est venu me voir et on a fait connaissance. Il est venu au Portugal faire la pré-production de l’album et je suis allée ensuite avec deux de mes musiciens à Los Angeles pour enregistrer dans son studio. Ce fut la première fois que j’enregistrais un album hors du Portugal. Ça nous a permis d’être concentrés à 100% sur l’album et de profiter au maximum de ce moment unique. 

Márcia, Luisa Sobral, António Zambujo, Manel Cruz (Ornatos Violeta), Pedro Silva Martins (Deolinda), Miguel Araújo (Os Azeitonas) … toute une nouvelle génération a été conviée à composer pour «Desfado» sans parler des artistes confirmés comme Pedro Abrunhosa ou encore Aldina Duarte…. Comment est née cette idée ? 
Je suis l’amie de certains et j’appréciais leur travail. Quant aux autres, j’ai toujours suivi leur carrière. On a au Portugal des compositeurs bourrés de talents. L’idée était d’inviter ces compositeurs à écrire pour moi, sans la préoccupation d’être en train d’écrire un fado. Je voulais qu’ils apportent leur touche personnelle, à moi d’unifier l’ensemble avec mon interprétation. 

Y a t-il eu un échange entre vous ou étaient-ils complètement libres ? 
J’avais demandé aux premiers que j’avais invité qu’ils se basent sur deux thèmes : les rêves et la folie. Tout simplement car ce disque, en m’aventurant dans une chose si différente du fado, ce genre musical quasi intouchable et religieux, se résumait à ça. Mais par la suite quand d’autres compositeurs m’ont envoyé leurs titres, j’ai vu qu’ils étaient loin de ces thèmes. J’ai fini par abandonner l’idée. Du reste, ils étaient totalement libres. 




Comment est née la participation de Herbie Hancock sur le titre en anglais dont vous avez composé la mélodie «I Dream of Fire»? 
Je suis une grande fan de Herbie Hancock depuis de nombreuses années. J’ai des vinyles de lui un peu partout chez moi, comme si c’était des œuvres d’art, des peintures. Mon manager connaissait mon admiration pour Herbie Hancock. Quand nous étions en train d’enregistrer à Los Angeles, il l’a dit à Larry Klein. Larry a pris le téléphone et appelé Herbie. La réponse de Herbie Hancock fut surprenante : à ce moment-là il écoutait deux artistes avec sa femme, et l’une d’entre elles c’était moi. Larry l’a défié alors à enregistrer sur l’album. Ce fut inespéré et une surprise pour moi. 

Y a t-il un titre en particulier avec lequel vous vous identifiez le plus sur cet album ? 
Lorsque j’ai commencé à recevoir les poèmes, il y en avait un avec lequel je m’identifiais beaucoup. Il était le reflet de ce que je vivais à ce moment là en m’aventurant dans ce parcours, c’était « O espelho de Alice » écrit par Nuno Miguel Guedes. Mais au final, ils finissent tous par répandre ce que je ressens en ce moment. 

Vous sentez vous plutôt chanteuse ou fadiste ? 
 Sans aucune hésitation, je me sens fadiste. 

Avez-vous la prétention de rénover le fado avec cet album? 
Je ne pense pas beaucoup à ça pour être sincère. Quand j’enregistre un fado traditionnel qui a déjà été chanté des milliards de fois, j’aime que les paroles soient différentes, mais aussi que les musiciens apportent leur touche personnelle. Ces musiciens font partie de cette nouvelle génération qui est influencée par ce qu’ils voient, écoutent. Inconsciemment, on apporte toujours quelque chose de nouveau au fado, notamment dans les paroles qui reflètent de la meilleure manière ce que nous vivons. 

Le milieu du fado est un monde très fermé avec son lot de puristes. Comment ont-ils réagi à «Desfado»? 
Pour être vraiment sincère, je ne sais pas encore. Je n’ai eu qu’un tout petit retour à travers les réseaux sociaux. Sur les milliers de commentaires, uniquement deux personnes liées étroitement au milieu du fado se sont sentis offensées, mais je crois que c’est parce qu’ils n’ont pas compris le message de l’album. Ils disaient que j’essayais de moderniser le fado, or comme je viens de le dire, ce n’est en aucun cas mon objectif. Je fais ce que j’estime avoir du sens dans ma carrière. 

Vous serez en concert le 9 février au Café de la Danse, quel souvenir gardez-vous de Paris ? 
J’adore Paris, c’est une de mes villes préférées. J’ai l’habitude de dire que c’est l’une des trois villes dans le monde où j’aimerais vivre pendant un an. Et puis, surtout, Paris est la ville où j’ai connu Prince lorsqu’il venu me voir à La Cigale en 2009. Ce fut une expérience fantastique, un très beau moment. 


Interview réalisée pour le CAPMag(Février 2013) / Crédit Photos : Isabel Pinto
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